Vases de l’Âge du Bronze décorés aux lamelles d’étain
Publié le 2 Février 2023
De nombreux vestiges de céramiques à décors de lamelles d’étain ont été découverts dans la région des lacs Franco-Suisses. Ils sont également très présents dans le Centre-Ouest de la France où ils ont été réalisés à la fin de l’âge du bronze, au Bronze Final, soit autour du 1er millénaire avant notre ère.
Il s’agit de vases de taille variable, souvent de couleur noire et d’aspect brillant. La couleur est obtenue par une cuisson réductrice et un polissage poussé des pièces avant cuisson assure le rendu brillant. La technique de décor est pour le moins originale, puisqu’elle consiste à coller sur les vases, de petites lamelles ou de petites formes géométriques en étain martelé, en utilisant comme adhésif de la bétuline (goudron d’écorce de bouleau). Les décors ainsi obtenus sont géométriques (lignes, chevrons, arcs de cercles, bandes parallèles).
Cette tradition technique trouve ses racines dans la période Néolithique (4ème millénaire avant notre ère), où certaines cultures de la zone nord-Alpine ont décoré leurs vases à l’aide de bandes d’écorces de bouleau, également collées à la bétuline. Elle se poursuivra pendant l’âge du Fer où elle dépassera même fréquemment les frontières de la zone des lacs franco-suisses et du Centre-Ouest de la France.
Céramiques néolithiques de Clairvaux décorées de bandes d'écorces de bouleau. D'après Pétrequin, P. modifié.
Le Musée Savoisien de Chambéry possède une belle collection d’une soixantaine de tessons, mais malheureusement aucune pièce entière. La plupart de ces tessons proviennent du Lac du Bourget, connu pour ses nombreux et riches sites du Bronze final.
Nous avons reproduit 3 exemplaires de vases à partir d’un de ces tessons, particulièrement bien conservé et sur lequel le décor de lamelles d’étain était bien lisible et relativement complexe.
Tesson du Lac du Bourget. Collection Musée Savoisien, Département de la Savoie, cliché Solenne Paul.
Dans un premier temps, nous avons travaillé à la restitution théorique de la forme du gobelet, sur la base du tesson du Lac du Bourget et des corpus de l’âge du bronze connus régionalement. Nous nous sommes ensuite attelés à la reconstitution, théorique également, des différents registres de décors qui ornent le pourtour supérieur. Nous avons à cet égard opté pour des variations graphiques plutôt que pour la répétition de mêmes registres.
L’étape suivante fut le modelage des vases avec une terre fine, suivi d’un long travail de polissage des vases aux galets. La mise en forme, le lissage et le polissage représentent à eux seuls 2 heures de travail par pièce. Les vases patiemment polis sont mis à sécher lentement.
Les vases en cours de polissage.
En parallèle, nous avons réalisé la bétuline, à partir d’écorce de bouleau cuite - ou plutôt distillée - à l’étouffée. (voir article du blog Archives de confinement 3 – bétuline, Publié le 12 Mai 2020). Ce goudron, utilisé comme adhésif depuis des millénaires, servira donc à à fixer les lamelles d’étain sur les gobelets.
Les vases ont ensuite été cuits puis enfumés afin de leur donner leur teinte noire homogène. L’enfumage consiste à sortir les pièces du feu lorsqu’elles sont rougeoyantes pour les mettre aussitôt en contact avec des copeaux de bois ou de l’herbe sèche. Ces matériaux vont se consumer en produisant beaucoup de fumée et le carbone dégagé va pénétrer en profondeur dans les parois des céramiques, leur conférant une couleur noire soutenue.
Pour réaliser le décor, il faut commencer par déposer une fine couche de bétuline, à chaud, sur les zones où le décor de lamelles d’étain sera appliqué. Pour cela, de très fines bandes d'étain sont découpées puis appliquées sur la colle. Avec un peu d’entraînement, chaque registre de décor demande environ 1h de pose et chaque vase se compose de 8 registres adjacents … Au final, la réalisation complète d’un gobelet nécessite une dizaine d’heures de travail. Cela semble excessif mais le résultat fait vite oublier ces patientes heures à l’ouvrage !
La pose du décor de lamelles d'étain.
Pour ces reproductions, nous avons utilisé de l’étain pur laminé industriellement. Lors de précédents essais en 2006, nous avions pu constater les difficultés à réaliser de la tôle régulière et très fine à partir d’étain brut. Les bandes obtenues demeuraient trop épaisses et trop irrégulières pour ce type de réalisation. De plus, l’étain présentait une fâcheuse tendance à se fendiller au cours du martelage, notamment en fin de travail. Il semblerait que pour ce travail, l’étain doit être aussi pur que possible, ce qui est assez difficile à trouver de nos jours.
Les vases en cours de finitions.
Les vases terminés.
Un grand merci à l’équipe du musée Savoisien de Chambéry pour leur confiance et une mention spéciale pour Josselin Derbier pour sa disponibilité et sa réactivité !