Retour détaillé sur une expérimentation menée cet été, au début du mois de Juin, dans le cadre de la manifestation nationale des ''Rendez-vous aux jardins'', au Musée des Tumulus de Bougon.
A l'origine, ce projet avait été pensé pour la fête des moissons au Parc des Lilas (94), fête annulée, comme beaucoup d'autres évènements, en 2020. L'idée était de reconstituer un araire préhistorique avec des outils néolithiques afin de lier les thématiques des pratiques agricoles et du travail du bois. Le Musée des Tumulus de Bougon nous a offert l'opportunité de mener ce projet à terme et de le compléter très largement en utilisant l'outil ainsi créé.
Nous avons choisi de reconstituer l'araire retrouvé en Italie sur le site de Lavagnone. Daté de l'Âge du Bronze Ancien (2048-2010 BC), il s'agit en effet de l'un des plus complet jamais découvert. D'autres araires du même type (dental) ont été exhumés en Italie, notamment à Fiave (Âge du Bronze récent) et à Walle en Allemagne où la découverte est datée du Néolithique.
Araire de Lavagnone et reconstitution expérimentale.
L'utilisation de l'araire est également confirmée par des gravures rupestres au Mont Bégo et au Valcamonica. On estime que ces gravures ont pu être réalisées depuis le Néolithique jusqu'à l'Âge du Fer.
D'autres traces indirectes de l'utilisation d'araires, ont également été découverts au Danemark, en Pologne, en Grande-Bretagne, dans le val D'Aoste en Italie ou encore sur littoral Vendéen, sous forme de sillons ''fossilisés'' dans des sols préhistoriques.
Toutes ces traces directes ou indirectes tendent à faire remonter l'utilisation de l'araire au 3ème millénaire, voire à la seconde moitié du 4ème millénaire avant notre ère.
Araire en cours de fabrication avec des outils néolithiques dédiés au travail du bois et discussion avec le public lors de la journée de Juin 2021.
Pour la fabrication, la recherche d'un support correct est fondamentale. L'angle entre le départ de branche et le tronc, qui formeront plus tard le timon et le sep de l'araire, doit être précis et il a fallu chercher longtemps la pièce de bois adéquate. L'expérience de Jo Durand, partenaire du projet et habitué à travailler avec des outils agraire de ce type, a été déterminante dans le choix de la pièce de bois.
Nous avons donc opté pour une pièce en orme, l'original étant en tout entier constitué de chêne. Cet araire a un soc trop petit pour être utilisé tel quel. Il présente également des aménagements qui laissent supposer l'existence d'un soc amovible. Cette pièce, absente lors de la découverte de l'araire de Lavagnone, a donc dû être imaginée. Elle a été réalisée en if, résineux plutôt robuste. Pour les cotes, il été plutôt aisé de s'appuyer sur celle de l'araire mais restait à imaginer sa forme. Nous avions réalisé dans un premier temps un soc de type ''sabot'' un peu joufflu, qui a dû être réappointé pour davantage d'efficacité, sur les conseils de Jo Durand.
Pour assembler ces deux éléments, l'original montre une astucieuse combinaison entre le mancheron qui sert à guider l'araire et de simples coins de bois. L'assemblage s'est montré plutôt solide à l'usage et il n'a été besoin de ne le refixer qu'une seule fois pendant l'expérimentation qui se prolongea pendant 3 heures et demie pour travailler une surface totale de 400m².
Nous avons également ajouté à l'ensemble un faux timon, fixé à l'aide d'une solide ligature de corde pour prolonger le timon, augmenter l'écart entre les bœufs et l'araire (afin de favoriser la maniabilité) et trouver plus facilement la bonne hauteur de fixation au joug. L'ensemble mesurera donc environ 4m, pour une hauteur maximum à l'extrémité du faux-timon d'1m30 et une hauteur du mancheron à environ 1m.
Araire terminé et monté, vue de détail.
La traction a été réalisée par un attelage de 2 bœufs, Max et Gaston, jeunes bœufs de race vosgienne âgés de 2 ans menés par Laurent Martin. Ils sont dressés depuis 1 ans et sont plus habitués pour le moment aux travaux de débardage qu'à ceux des champs, plus répétitifs et monotones.
L'attelage était équipé d'un joug américain, muni d'un anneau large dans lequel passe l'extrémité du faux timon. Ce dernier est alors libre de rotation dans l'anneau, ce qui permet de pivoter l'araire à droite ou à gauche lors des demi-tours ou des déplacements au cours desquels il n'est pas censé ''sillonner''.
L'expérimentation a également permit de déceler un intéressant principe de réglage du soc amovible. Toujours à l'aide d'une cale de bois placée au niveau du talon, il est possible de faire plus ou moins ''piquer'' le soc. Si ce dernier ''pique'' de trop, la contrainte de traction augmente et le travail fatigue alors davantage les bœufs. De plus, l'araire aura tendance à ''rebondir'' sur le sol ce qui perturbera la bonne marche du travail.
Exemple de déplacement de l'araire où il pivote grâce à la fixation dans l'anneau du joug..
L'araire ne permet pas de retourner le sol comme une charrue, mais il est bien adapté pour l'aérer, l'ameubler et préparer les semis. Ainsi, le sol avait été préparé mécaniquement avant le passage de l'araire. Les passages permettent de tracer des sillons plus ou moins réguliers qui doivent être croisés. C'est exactement le type de traces de passage qu'on peut retrouver sur certains sites préhistoriques où ils sont conservés. Une fois la parcelle préparée, il est possible de réaliser les semis. Lors de l'expérimentation, l'équipe du Musée a opté, au vu de la période tardive, pour un semi de sarrasin, réalisé à la volée par une petite équipe. L'ensemble de la parcelle a ensuite été arasée à l'aide d'une barre de bois tractée par Gaston.
Passage de l'araire, Max et Gaston menés par Laurent Martin et Jo Durand à la manœuvre.
Passage de l'araire, vue rapprochée.
Passage de la barre de bois pour araser les sillons après les semis.
Vue générale de la parcelle de 400m² après les passages croisés de l'araire, les semis et l'arasement.
Nous adressons encore nos plus vifs remerciements à Laurent Martin, Jo Durand, Max, Gaston, ainsi que toute l'équipe du Musée des Tumulus de Bougon, sans qui cette belle expérimentation n'aurait pas pu se faire.
De gauche à droite, Max, Gaston et Laurent Martin.
Au premier plan, Jo Durand.
Après quelques semaines, une magnifique parcelle de sarrasin prend place. Clichés Juillet et Aout 2021, Arkéo Fabrik et Musée des Tumulus de Bougon.